Hypothermie – Arnaldur Indridason

Note : 4 sur 5.

Mots clés

littérature   roman   thriller   suspense   romans policiers et polars   deuil   enquêtes   disparition   erlendur sveinsson   islandais   suicide   fantômes   surnaturel   policier islandais   islande   littérature nordique   littérature islandaise   littérature scandinave   policier nordique   21ème siècle  

Le pitch

Un soir d’automne. Maria est retrouvée pendue dans son chalet d’été sur les bords du lac de Thingvellir. Après autopsie, la police conclut à un suicide.

Quelques jours plus tard, Erlendur reçoit la visite d’une amie de cette femme qui lui affirme que ce n’était pas « le genre » de Maria de se suicider et qui lui remet une cassette contenant l’enregistrement d’une séance chez un médium que Maria était allée consulter pour entrer en contact dans l’au-delà avec sa mère.

Celle-ci lui avait promis de lui envoyer un signe. Au pays du fantastique et des fantômes, aussi dubitatif que réticent, le commissaire Erlendur, troublé par l’audition de la cassette, se sent obligé de reprendre l’enquête à l’insu de tous.

Il découvre que l’époux de Maria n’est pas aussi fiable qu’il en a l’air et ses investigations sur l’enfance de la suicidée, ses relations avec une mère étouffante vont le mener sur des voies inattendues semées de secrets et de douleur.

Obsédé par le deuil et la disparition, harcelé par les frustrations de ses enfants, sceptique devant les croyances islandaises, bourru au coeur tendre, le commissaire Erlendur poursuit sa recherche sur lui-même et rafle tous les suffrages des lecteurs.

Mon avis

Lorsque je veux me « détendre » des thrillers « hard », violents et très sombres que je lis habituellement, tels que les Thilliez, Giebel, Chattam ou autre Grange (que j’adore), je plonge alors sans hésiter dans un Indridason qui fait alors figure de « valeur refuge ». le tempo est complètement différent, les histoires ne sont pas aussi crues dans l’horreur par leurs descriptions détaillées mais elles n’en restent pas moins très « prenantes » et finement menées. Il s’agit plus ici, de thriller sociologique, de manipulations psychologiques subtiles, de descriptions d’êtres torturés, tourmentés et désabusés voire blasés avec pour toile de fond une ambiance de « nervous breakdown » en Islande.

Ainsi j’ai déjà été très emballée par la lecture de « L’homme du lac » et de « La femme en vert » par exemple, beaucoup moins par « Hiver arctique » que j’avais trouvé vraiment très mou mais qu’importe, globalement je ne m’en lasse pas !

Cette fois-ci donc, c’est le tour d’ « Hypothermie », un polar paru en 2011 qui met en scène notre « ami » des forces de police, l’anti-héros par excellence, le commissaire Erlendur Sveinsson tout seul cette fois, sans ses acolytes Sigurdur Oli et Elinborg, dans les paysages glacés d’Islande.

Ici, dans cet épisode, pas de crime puisqu’il s’agit de toute évidence d’un suicide, celui de Maria, retrouvée pendue dans sa maison d’été au bord du lac de Thingvellir. La police s’apprête à classer l’affaire puisque tout confirme le suicide (suicides qui sont très fréquents en Islande, dans un pays où la criminalité est par ailleurs quasi inexistante ce qui soit dit en passant expliquerait un hypothétique manque d’efficacité lorsqu’elle se présenterait): l’autopsie de la victime et le témoignage du mari corroborent parfaitement la théorie.

Cependant Erlendur continue à investiguer en marge de l’enquête légale, en vertu d’une intuition et d’un faisceau d’indices, constitué lors d’un ré-interrogatoire officieux des différents protagonistes de l’histoire qui lui permettent raisonnablement de douter de la version officielle. En effet une amie de Maria, Karen, qui est perplexe elle aussi à propos des conclusions auxquelles sont arrivées les autorités va remettre au commissaire un enregistrement d’une séance chez un médium à laquelle s’est livrée Maria peu avant sa mort. Celle-ci semble avoir entretenu une croyance indéfectible en la vie après la mort (elle en cherche notamment désespérément des manifestations) et a développé des obsessions paranormales après la mort de sa mère avec qui elle partageait un amour exclusif et très fusionnel.

Or, le geste définitif de Maria résonne comme un écho aux propres obsessions d’Erlendur par rapport à son histoire personnelle. Dès lors, il n’aura de cesse de chercher les raisons du geste fatal de Maria en dépit du fait que la mort de ses parents (sa mère récemment et son père des années auparavant) semblent à eux seuls justifier ses actes et suffisent à tous (ou presque) comme explication souveraine.

Ce roman, qui n’a rien de la facture d’un polar « classique » n’est simplement qu’un prétexte à l’analyse d’une partie de la société islandaise décrite comme quelque peu dépressive. On apprend, en effet, beaucoup de choses sur ce pays en lisant les romans d’Indridason pour notre plus grand plaisir (enfin pour ceux qui s’intéressent peu ou prou à la culture nordique !).

Certes, on pourrait avancer que l’intrigue est trop « tranquille », sans révélations fracassantes, sans coups de tonnerre ni retournements de situation spectaculaires ; on devine même assez rapidement la personne potentiellement « coupable » mais qu’importe, là n’est pas l’essence du livre. Ces romans-là traduisent surtout une « atmosphère » et la lenteur de la mise en place se révèle plus être « la patte » de l’auteur qu’autre chose et elle n’en reste pas moins efficace.

Un polar plutôt psychologique donc, où l’on y traite les aspects des différentes phases du deuil, de son acceptation, les remords, les regrets ; c’est une réflexion sur la mort et surtout sur la potentielle vie après la mort ; il est question des fameux « secrets de famille » qui rongent les êtres sans leur laisser de répit ; il est question de l’oubli aussi, mais également des non-dits, de la douleur, de la disparition d’un être cher, de la culpabilité qu’elle peut engendrer, de la difficulté à gérer l’absence : sujets qui affleurent avec d’ autres enquêtes, non-élucidées depuis trente ans ; celle de la disparition de Gudrun, par exemple, jeune étudiante en biologie et celle de de David, un jeune homme qui s’apprêtait à entrer en faculté de droit, parti de chez lui un matin sans jamais plus donner de nouvelles à personne. Et cette affaire poursuit inlassablement Erlendur puisque le père du gamin vient lui rendre visite à intervalles réguliers pour savoir s’il aurait du nouveau et qui ravive par là même le sentiment d’impuissance que ressent le commissaire ainsi que son désespoir en regard de sa situation personnelle, lui qui reste en quête de son jeune frère, perdu dans une tempête de neige alors qu’ils étaient encore enfants.

Notons que le titre original du bouquin « Hardskafi » est en fait, le nom de la montagne où Bergur, le frère d’Erlendur, a disparu. C’était certes un titre tout indiqué et très évocateur, mais « hypothermie » ne l’est pas moins à mon sens car le froid constitue bien le fil conducteur de ce bouquin et de tous les épisodes avec Erlendur d’ailleurs … Mais, ce livre aurait pu s’intituler « la douleur » aussi s’il n’avait déjà été utilisé pour d’autres sujets.

Enfin, l’auteur aborde aussi les relations familiales difficiles d’Erlendur ; celle avec ses enfants, Eva Lindt (toxicomane mal dans sa peau) et Sindri Snaer (ex-toxico instable et insaisissable) ainsi que celle avec son ex-femme Halldora avec qui il peine à renouer un dialogue voulu par sa fille mais qui semble impossible à rétablir. On explore là les méandres de la rancoeur et la complexité du processus du pardon (qui aura lieu ou non selon le vécu des uns et des autres). On assiste ainsi à l’autopsie d’un mariage raté et d’un gros « loupé » sur l’éducation des enfants dont Erlendur s’en fait parfois le reproche sans pour autant parvenir à restaurer la confiance avec ses enfants. Il y a beaucoup de maladresse aussi chez ce père qui essaye pourtant parfois de rattraper le temps perdu.

Il y a, enfin, le sentiment latent de culpabilité qui étouffe littéralement Erlendur ; sentiment toujours présent, lancinant, tout au long du livre (des livres d’Indridason sur Erlendur); il fait monter une angoisse sourde et pesante. Cependant l’emploi ponctuel de flash-backs sur le passé d’Erlendur mêlés aux difficiles relations présentes avec ses enfants humanise le personnage et le rend accessible ; cela permet ainsi l’empathie envers lui. Ainsi, sous le personnage bourru, bougon, taciturne, torturé presque sauvage qu’il donne à voir, son attitude froide et distante, il révèle des côtés néanmoins très attachant qui vont le rendre sympathique.

Alors, c’est décidé, je vais continuer l’exploration des pans de la vie de ce cher Erlendur et de sa famille (même si je ne les lis pas dans l’ordre ce n’est pas grave, je reconstitue les morceaux et j’ai l’impression en plus de faire un puzzle !!!) tout en découvrant des parties de l’histoire de l’Islande avec avidité et curiosité. Donc, au suivant….

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